Exposition Phœnix à Nantes, jusqu'au 15 mai

Il y a trente ans, avec Les Anneaux de la mémoire, les Nantais menaient leur révolution culturelle sur le rôle de leur ville dans l’esclavage. Le travail mémoriel n’est pas terminé, comme en témoigne la recherche de Rossila Goussanou. Cette architecte et anthropologue franco-béninoise observe comment se construit et se transmet la mémoire de la traite négrière à Nantes, mais aussi au Bénin et en Guadeloupe, de génération en génération. L’exposition Phœnix, à la « Cale 2 créateurs » sur le site des Machines de l’ile, retrace un itinéraire de recherche : à la basilique Saint-Nicolas où les bourgeois nantais du 18è siècle faisaient baptiser leurs « nègres de famille », aux serres où l’on acclimatait des plantes rapportées par les navires négriers… Elle reproduit aussi un atelier photo avec des jeunes qui traquent les traces de l’esclavage dans la ville : bâtiments, noms de rue… « Il y a des trous de mémoire », constate Rossila Guissanou. Elle évoque les morts sans sépulture, ni noms, et tous ceux qu’on faisait venir à Nantes en apprentissage ou comme serviteurs dans les maisons d’armateur. L’exposition Phœnix a été préparée avec l’association Béninois et Amis de Nantes. Elle a déjà été présentée à Ouidah et elle continuera à Pointe-à-Pitre (Guadeloupe). Elle est un complément à l’exposition L’Abîme, au Château des ducs de Bretagne, dont nous avons déjà parlé. Phœnix est complétée par des podcasts produits par l’atelier nantais Pop’ Média. Rossila Goussanou sera intervenante lors d’un colloque organisé par Nantes université, du 11 au 13 mai : « Esclavages. Des traites aux émancipations, trente ans de recherches historiques ».

Rossila Guissanou

Le souvenir en mouvement

(Extrait de l’exposition Phénix, à Nantes)

« Se souvenir de l’esclavage, c’est aussi mettre des figures historiques en avant. Se remémorer des témoins de ce sombre passé, pour les mots qu’ils ont prononcés pour les gestes qu’ils ont accomplis, pour les engagements qu’ils ont pris. Mais qui sont ces revenants ?

 

« D’un territoire à l’autre, les personnes invoquées ne sont pas les mêmes. En France, l’abolitionniste Victor Schoelcher a longtemps fait figure de proue. Mais dans les anciennes îles colonisées, on se demande si l’abolition a vraiment été octroyée ou si ce ne sont pas les personnes mises en esclavage qui n’ont pas arraché leur liberté elle-même ? Est-ce que ce n’est pas aux « esclaves marrons » et à tous ceux qui ont résisté que l’on doit rendre hommage ? Louis Delgrès, Solitude et Joseph Ignace en Guadeloupe, Boni, Simon ou Pompée en Guyane, Héva et Enchaing à La Réunion, Bookman, Toussaint, Biassou, Sanité Bélair et Dessalines en Haïti ?

 

« Les patronymes sont nombreux et la confusion règne parce que l’écriture de l’histoire évolue, parce que l’on redécouvre d’autres récits de vie, d’autres témoignages. Des contradictions naissent entre les figures glorifiées hier et celles encensées aujourd’hui. A Nantes, les noms de rues consacrées à d’anciens armateurs négriers côtoient dorénavant ceux de femmes esclaves ou résistantes. A Ouidah, les sculptures symbolisant des rois esclavagistes laissent la place à des représentations de captifs enchaînés. »

Rossila Goussanou Bénin
Site mémoriel à Ouidah (Bénin). ExpoRossila Goussanou
Expo Rossila Goussanou
Collage à l'exposition Phœnix de Rossila Goussanou
Rossila Goussanou
Rossila Goussanou

Qui est Rossila Goussanou ?

Lors de la présentation des podcasts, à Nantes, le 22 avril Rossila Goussanou expliquait que cette exposition marquait pour elle un moment d’aboutissement de huit années sur le domaine de la mémoire de l’esclavage. Son intention est d’explorer d’autres sujets. Son CV présenté sur le site de l’université de Nantes : Rossila Goussanou est architecte diplômée d’État et docteure en anthropologie. Sa thèse de doctorat porte sur les sites mémoriels consacrés à la traite négrière occidentale, notamment ceux du Bénin. Elle étudie l’historiographie des discours nationaux et internationaux, les concepts de mémoriaux, de patrimoine, de dispositifs scénographiques et muséographiques ainsi que les politiques de conservation et de médiation. En parallèle, Rossila Goussanou s’est investie dans plusieurs projets portant sur la valorisation des cultures africaines, notamment des projets d’exposition, par exemple en assurant le commissariat de l’exposition « Afrocity, Urbanités enchantées » à Nantes ou l’étude muséographique et scénographique du Musée de la femme de Foto-Dschang, au Cameroun. Depuis 2020, elle est chercheure associée au laboratoire Ambiances Architectures Urbanités (CRENAU), UMR CNRS 1563, et enseignante vacataire à l’ENSA Nantes-Mauritius.

Le colloque, du 11 au 13 mai

A l’occasion du 30e anniversaire de de l’exposition Les Anneaux de la Mémoire, au Château des ducs de Bretagne, l’université de Nantes organise un colloque pour dresser un bilan des progrès de la recherche depuis trente ans dans les domaines des traites, des esclavages et de leurs abolitions. Le colloque international est porté par le CRHIA (Centre de recherche en histoire internationale et atlantique), en partenariat avec l’association nantaise Les Anneaux de la Mémoire. Les domaines traités seront : Les sociétés africaines face au commerce des esclaves ; Le dépassement de l’histoire quantitative des traites ; L’histoire sociale de l’esclavage et la construction des sociétés coloniales esclavagistes ; Abolition, abolitionnisme et abolitionnistes ; La période post-abolitionniste et le post-esclavage ; Traites et esclavages face aux enjeux mémoriels.

Coton devant une façade nantaise, expo Rossila Goussanou
Coton devant une façade nantaise, expo Phœnix Rossila Goussanou
Sur les traces de l'esclavage, au Bénin, expo Rossila Goussanou
Sur les traces de l'esclavage, au Bénin, expo Rossila Goussanou