Nos corps empoisonnés, pièce de Marine Bachelot Nguyen

Nos corps empoisonnés, la nouvelle pièce de Marine Bachelot Nguyen, raconte le combat de Tran To Nga, résistante vietnamienne. Elle a aujourd’hui 82 ans et porte une lutte juridique contre les sociétés pétrochimiques et agrochimiques américaines pour obtenir réparation des ravages causés par l’agent orange, pendant la guerre du Vietnam, sur la santé humaine et sur la nature. Marine Bachelot Nguyen a étudié les arts du spectacle à Rennes 2. Elle  a cofondé en 2004 le collectif d’auteurs et d’autrices Lumière d’août, à Rennes. Autrice et metteuse en scène, elle a créé plusieurs pièces sur les luttes féministes (entre autres Histoires de femmes et de lessives en 20009, La femme, ce continent noir en 2010), sur le colonialisme comme La Place du chien (sitcom canin et postcolonial) ou encore Circulations Capitales (mémoires familiales France-Viêtnam-Russie) en 2019. Elle prépare un projet sur les boat people.

Marine Bachelot Nguyen Nos corps empoisonnés

Une guerrière, la forêt vietnamienne, le poison orange

 

Article paru dans le magazine Théâtre(s), numéro de juillet-août-septembre 2023

La jeune combattante marche sur la piste Hô Chi Minh, dort dans son hamac, économise ses rations de riz, se couche au sol au bruit des avions américains, tremble sous les bombardements. Elle craint pour sa mère, restée à Saïgon comme agent de liaison. « La forêt nous nourrit et nous protège » croit-elle, alors que les Etats-Unis détruisent la végétation à coup d’agent orange pour débusquer leurs ennemis. Un jour Tran To Nga est aspergée. Elle perdra sa première fille. Comme pour tant d’autres Vietnamiens les séquelles des herbicides font leur chemin dans son corps, se transmettent d’une génération à l’autre. Tran To Nga, cette résistante qui vit en France depuis les années 90, n’abandonne pas le combat – devenu juridique – contre les firmes américaines qui ont fourni le poison à l’armée américaine, en connaissance de cause. Elles n’ont jamais versé de compensation aux victimes vietnamiennes (les soldats américains touchés ont reçu une indemnité contre abandon des poursuites). Le moment du procès, en 2021, à Evry, n’occupe qu’une partie de la pièce. Juste le temps de rappeler, derrière un baril chimique, les ravages commis par les Américains au Vietnam, les tonnes de bombes, les taux de dioxine, l’écocide. L’essentiel est raconté à hauteur de femmes. C’est la réussite de Marine Bachelot Nguyen d’avoir écrit et mis en scène ce drame collectif comme une expérience, non comme un pamphlet. Elle l’a fait à partir de l’autobiographie (Ma Terre empoisonnée) et des entretiens avec Tran To Nga (82 ans aujourd’hui). Seule en scène, Angelica Kiyomi Tisseyre Sekine trouve une juste économie des gestes, presque une chorégraphie, pour incarner l’héroïne dans la forêt, ses élans, ses frayeurs, le courage tenace. Elle clôt la pièce sur une réussite scénographique d’hommage à la vie, de mères en filles. Yves Perennou

Texte et mise en scène Marine Bachelot Nguyen / Avec Angélica Kiyomi Tisseyre-Sékiné /
Vidéo et scénographie Julie Pareau